Le bijou des temps modernes, un nouveau paraitre.
La magie des pierres et des métaux confère aux bijoux l’art de conserver intacts, leur éclat premier et le goût de leur période de création, alors qu’une seule saison réduit à néant la fraicheur d’une toilette! Cette saillie, extraite de la préface du Rapport général, publié lors de l’Exposition Internationale des Arts décoratifs et Industriels de 1925, dans le volume IX consacré à la Parure, résume la conception novatrice des joyaux présentés dans la Section Française de la Bijouterie et Joaillerie. Ils reflètent en effet l’esprit ambiant qui marquait toute l’Exposition. Les dessins de bijoux trop inspirés des styles anciens furent volontairement écartés, c’était là le grand service rendu et imposé à la joaillerie française qui se voyait pour mission d’afficher dans les pièces exposées les composantes de cette modernité perçue aussitôt comme le style manifeste des Temps Modernes. En un bref instant les bijoux naturalistes des périodes précédentes, fleurs de diamant du siècle passé ou somptuosités de l’art nouveau, sont devenus en 1925 inadaptés aux toilettes sportives du jour et définitivement obsolètes avec les robes du soir fluides et proches du corps.
Les arts de la parure s’affirment dès lors par des lignes simplifiées qui clament la modernité du temps, les mêmes signes se décryptent dans l’architecture, le mobilier, les voitures et jusqu’au cinéma. Cette Renaissance de tous les arts, apparue sur fond d’une période heureuse de la paix retrouvée, se voit renforcée par des liens incessants avec les Amériques, période emblématique pendant laquelle les paquebots Français deviendront les meilleurs ambassadeurs de tous les arts outre atlantique. L’internationalisation du goût qui en découle, va profondément contribuer par le jeu des échanges à rénover et affirmer les caractères de la joaillerie française. Seul élément commun à toutes les civilisations, le bijou s’affirmera désormais davantage en objet d’art du quotidien, renouant ainsi avec les fondamentaux des origines. Certes il accuse et complète toujours la toilette par son éclat, mais bien davantage il contribue à valoriser et souligner la beauté des silhouettes révélées par les textiles nouveaux, lamés ou crêpes fluides, tissés ou sport.
Le bijou devient volontiers élément solitaire au détriment de la parure historique trop guindée, aussi il perd souvent en apparence ce qu’il gagne en raffinement, en discrétion et en distinction. Les bijoux innovent et affichent une netteté des montures plus architecturées, ils puisent ainsi aux répertoires des formes antiques, ethniques, voire dans la modernité de la mécanique, la rigueur de leurs dessins. Ainsi Jean Dunand rehausse de laque aux splendides tonalités son collier « girafe » composé de trois anneaux d’or, véritable relecture ethnique combinée aux subtiles géométrisations cubistes. Ce dinandier virtuose deviendra le ténor de la laque avec laquelle il ose de franches audaces chromatiques associant le noir, blanc et rouge dans une paire de boucles d’oreilles. Les pierres précieuses se font plus discrètes et la période de l’entre deux guerres voit fleurir des bijoux d’argent ou de platine moins démonstratifs. Avec les techniques multiples de la laque, l’émail, les pierres dures, jades et onyx mais aussi les pierres fines gagnent définitivement leurs lettres de noblesse tandis que l’influence des progrès des sciences et découvertes, des astres en passant par l’atome sont aux sources de maintes inspirations, comme la broche comète de Templier.
Les dynamiques de la mécanique et de la vitesse, marquent fortement l’exposition de 1937, ces thématiques suggèrent, dès 1925, les motifs aux accents cubistes ornant les boites et étuis à cigarettes devenus les symboles d’un plaisir devenu unisexe. Ces accessoires deviennent prétextes à tous les luxes destinés aux poches des messieurs ou aux pochettes féminines rien ne les distinguent, tous affichent la somptuosité de décors laqués aux subtils accords. D’émail ou de laque, d’or, d’argent ou de platine, ces objets créent le plaisir des yeux et deviennent un véritable bijou de proximité qui contribue au luxe ambiant de l’époque. Les plus célèbres orfèvres et joailliers s’en feront des véritables spécialités. Cet air des temps nouveaux, incarné merveilleusement dans le film de Marcel L’Herbier L’Inhumaine, va devenir source d’inspiration pour toute une génération qui marquera durablement la période par la variété de leur talent. La liste exhaustive en serait fastidieuse, mais l’histoire a déjà consacré les noms ici réunis de : Boivin, Cartier, Puiforcat, Jean Dunand, Raymond Templier, Jean Fouquet, Suzanne Belperron, Jean Désprès, Jean Fouquet, René Robert sans oublier Gérard Sandoz et JeanTrottin….
Lorsque la Maison Cartier compose le bracelet d’argent pour ses succursales de Paris et New-York, il est certain que la masse du métal et la structure quasi mécanique des formes signe le point d’orgue et l’aboutissement d’un style. En renonçant à l’or et aux pierres au détriment de l’argent, le joaillier compose un de ses bijoux les plus tendance, il faut y voir un instant de réussite complète, il est d’ailleurs symptomatique de retrouver ce bracelet au bras de Marlène Dietrich dans son portrait par Horst tandis que la duchesse de Windsor en possédait une paire du même modèle.
La variété des trésors réunis par La Galerie Parisienne, illustre cette formidable période d’évolution et de mutation stylistique, cet ensemble constitue un hommage rendu à ces artistes qui ont su assimiler et jeter les bases de notre modernité ; sans jamais faillir ni sacrifier leur savoir-faire, lui conservant toute la beauté traditionnelle de leur métier en l’impliquant vers ce futur qui est …notre présent.
Yves Badetz
Conservateur général du patrimoine.
Vidéo de l’exposition