René Boivin

La Maison Boivin a témoigné jusqu’à nos jours d’une originalité sans défaillance et sans concession aux fluctuations du goût collectif, créant non seulement un style, un « esprit » mais aussi une production homogène, rigoureuse, unique en son genre, adoptée et adaptée plus tard par toute la joaillerie contemporaine.

Génèse et chronologie 

René Boivin est issu d’une famille de drapiers. Il fait son apprentissage auprès de l’un de ses frères devenu orfèvre à la fin des années 1880. En 1893, Boivin quitte son atelier de la rue Saint Anastase pour s’installer rue de Turbigo. Il épouse la même année Jeanne Poiret, sœur du couturier Paul Poiret, avec laquelle il travaillera main dans la main jusqu’à sa mort. Elle deviendra, en reprenant son nom et les rênes de la maison, la première femme designer de bijoux qui soit reconnue au XXème siècle. 

L’audace et l’originalité de René Boivin le démarquent très vite des joaillers de l’époque. Il préfère les formes épurées et les matières brutes à la tendance surchargée et brillante du moment. Il crée essentiellement sur commande en utilisant les anciens bijoux de ses clientes. Sa puissance de création réside dans sa passion pour les arts et c’est en tant que collectionneur qu’il créait ses bijoux comme des œuvres. L’exemple le plus frappant reste cette pièce unique réalisée entre 1910 et 1915 avec la technique du ciselé, un clip en forme de masque grimaçant inspiré du théâtre chinois dont la chevelure est constituée d’une cascade de perles.

Le cubisme, l’art abstrait et l’art déco auront aussi une grande influence sur le travail de René Boivin qui n’hésitait pas à mixer les genres. Autre exemple de l’étendue des inspirations de la Maison Boivin, le bracelet jonc « Corde », crée en 1928 et imaginé selon des images celtiques, fait de torsades de fils d’argent et terminé par des boules en or jaune. Il sera reconduit jusque dans les années 70.

À la mort prématurée de René Boivin en 1917, Jeanne Boivin reprend les rênes de la Maison avec leur fille Germaine et s’installe avenue de l’Opéra. Elles font appel à Suzanne Belperron tout juste diplômée de l’école des Beaux-Arts où elle obtient le premier prix du concours des Arts Décoratifs en 1917. Elle fera prendre un virage important à la Maison en s’inspirant de ses propres dessins d’étudiante où les volumes et volutes cassent les codes géométriques et épurés du mouvement Art Déco. En 1924, à 23 ans, elle sera nommée co-directrice de la Maison qu’elle quittera en 1932. Elle sera remplacée par Juliette Moutard.

Dans les années 30, la Maison Boivin s’inspire du naturalisme avec une ligne représentant animaux, fruits et fleurs dont le fameux « Chamelion » dont la couleur de la pierre change par pression. C’est aussi à cette époque que la notion de mouvement s’intègre dans leurs créations. Comme un pendentif en or jaune serti d’une citrine pivotante ou encore une bague dont les pierres en gouttes fixées sur des micro-charnières autour de la pierre centrale bougeaient comme les pétales d’une fleur. Jeanne Boivin aime les bagues volumineuses. Elle n’hésitera pas à détourner la chevalière masculine de l’époque en version féminine avec une chevalière dont le corps principal est serti d’une pierre épaulée de godrons et dont le serti clos est une révolution pour l’époque.

À la mort de Jeanne Boivin en 1959, Louis Girard prend le relai en s’inspirant simplement des tendances sans grande conviction novatrice. C’est en 1970 que la baronne Caroline des Brosses intègre la Maison en tant que designer. Elle dessinera notamment la bague à quatre corps légèrement articulés qui se compose de quatre rangs de diamants taille brillant qui se chevauchent dans un serti ovale en or jaune.

La Maison Boivin sera racheté en 1991 par le groupe Asprey du Prince Jefry, frère du Sultan Bolkiah de Brunei pour rapidement fermer ses portes à tout jamais. Ce qui confèrent aujourd’hui aux créations René Boivin une rareté très prisée sur le marché des enchères, en particulier les pièces uniques et celles non-signées datant d’avant 1950. Car la classieuse Mme Boivin considérait la signature comme une vulgaire prétention.

L’esprit Boivin

Passion et fidélité  

Lorsqu’elle reprit la maison de son mari mort en plein succès, en pleine maturité de leur amour et de leur entreprise commune, l’ambition et l’exigence de Madame Jeanne Boivin, pour noyer son chagrin, ne visaient pas la quantité, mais l’euphorie d’une clientèle très élitiste, artistique et intellectuelle, dont elle prit un soin particulier à satisfaire. Cette clientèle, en retour, lui témoignera la même fidélité exclusive.

Ces bijoux au modernisme et à la sensualité intemporels suscitent encore aujourd’hui un attachement passionnel infini qui, s’il arrive qu’ils ne soient pas gardés et transmis de génération en génération au sein des familles de leurs heureuses propriétaires, atteignent sur le marché des sommes à la hauteur de leur rare singularité.

Une histoire de femmes 

Le moins connu de cette remarquable histoire est que c’est une histoire de femmes. L’innovation et la parfaite osmose de l’apport créateur respectif de 3 personnalités féminines différentes pendant près de 50 ans ont forgé la féerie des bijoux Boivin. On doit à Jeanne Boivin, à Juliette Moutard, à Germaine Boivin mais aussi brièvement, au tout début de sa carrière, à Suzanne Belperron, la création de ce mythe. C’est un fait suffisamment rare dans l’histoire de la joaillerie, pour que l’on s’y attarde mais peut-être aussi pour que l’on y trouve les

raisons de la particularité, de l’originalité et de l’étrangeté de la maison Boivin qui auront suscité tout à la fois passion et fidélité. En cette période de la fin du XXème siècle, en pleine prospérité industrielle, le bijou est avant tout un étalage de luxe, un repère essentiel consacrant la réussite sociale de l’homme à travers la femme, l’ « atelier des dames » chez René Boivin se différencie très vite de ce contexte et envisage de manière complètement innovante la notion même de luxe : Que le bijou rehausse la femme mais aussi que la femme rehausse le bijou. Il fallait que le bijou vive et suive le mouvement de la femme qui le portait. 

Anticipation et intemporalité

Un autre fait qui souligne ces mêmes caractéristiques de la maison Boivin est l’intemporalité de ses modèles et l’anticipation des modes de vie. Chacun de ces bijoux étonnants anticipaient tellement le goût et les usages qu’il arrive encore parfois que l’on tende à les postdater. René Boivin était un précurseur. C’était un homme classique mais très indépendant. Collectionneur, chineur, observateur, excellent dessinateur d’objets comme de sujets humoristiques, il menait une double vie d’antiquaire et il n’hésitait pas à créer, à côté de modèles traditionnels, des bijoux et des décors atypiques qui à l’époque devaient paraître bien audacieux et même choquants. Cette indépendance s’est constamment maintenue et brillamment renouvelée entre les mains des trois femmes que nous avons citées plus haut et qui officièrent en son nom, favorisant l’élaboration d’un style caractéristique, critère absolu d’une création authentique

Le style Boivin

Quand Mr René Boivin fût un dénicheur de rareté, un excellent dessinateur et un artisan audacieux, Mme René Boivin, elle, à sa suite et dans le respect de la qualité de son travail, de ses idées, choisit de tout réinventer, de la réputation dont elle allait entourer ces œuvres, à la clientèle qui allait les recevoir et les accompagner, de leur conception jusqu’à leur aura.

Polychromie et matériaux

Les créations de René Boivin brillaient par la sophistication et l’innovante association de ses matériaux, des bagues en or jaune émaillées de noir, de l’ébonite incrusté de perles, de l’ivoire du corail et la prépondérance de pierres de couleur : diamants de couleur jonquille, rose et bleu, topazes roses, saphirs de toutes les couleurs, améthystes, péridots. Ces pierres étaient utilisées pour leurs tonalités ravissantes et posées sur des montures raffinées serties de diamants.

Pour Jeanne Boivin, ses créations ne devaient pas briller plus que la femme qui les portait mais la mettre en valeur, elle ne concevait pas non plus des modèles pour mettre en valeur des pierres précieuses, elle utilisait des pierres précieuses ou non pour colorer ses bijoux, allant jusqu’à les « noyer » dans des sertissures de toutes sortes de matières insensée à l’époque. Elle appréciait le jeu des contrastes de ces matières associées à un ton sur ton coloré, un diamant navette par exemple qui venait s’incruster dans un corps de cristal de roche avec un fin filet d’émail (bijou exécuté pour Mme Stein en 1929). Des bracelets barbares on revient plus tard à la douce polychromie chatoyante vouée à un naturalisme inspiré.

L’importance du volume

Il est probable que l’on doive à René Boivin dès 1905, l’idée d’avoir paré la main des femmes de grosses chevalières d’homme de forme bombée. Mais on doit à l’exceptionnel développement et la culture de ces bijou-architectures à Mme Boivin. Elle ne dessinait pas comme son mari, ce qui a peut-être défini son penchant pour la sculpture. Elle avait tout en tête et ce sont ensuite d’autres qu’elles qui se chargeaient de coucher les lignes de ses futures créations sur le papier. Elle avait une véritable passion pour l’architecture et les formes des modèles qu’elle inventait, des formes rondes et grasses, des volumes sphériques et ellipsoïdaux bien loin des ressauts et gradins qui étaient de rigueur à l’époque. Jeanne Boivin exploitait une audace vertigineuse dans les volumes de ses montures, à tel point que l’on peut dire que les bijoux Boivin touchent davantage une clientèle amateur de montures plus que de pierres précieuses. Une personne qui fait l’acquisition d’un bijou Boivin souhaite manifestement être distinguée pour son goût radical, sophistiqué en matière d’art, plus que pour le tape à l’œil de la valeur marchande d’une profusion de pierres.

Une signature d’un nouveau genre

On ne montait pas l’escalier de l’avenue de l’Opéra pour acheter un bijou, mais pour acheter un bijou Boivin, parce qu’il ne ressemblait à aucun autre. Mme Boivin ne les signait pas d’ailleurs elle s’y était même opposée. Elle ne faisait pas non plus de publicité, lui préférant une réputation véhiculée par le plus chic et confidentiel « bouche à oreille » établissant aussi par là un choix définitif entre la qualité et l’apparence de la qualité. Les salons inventés par Mme Boivin se sont fait les écrins des transactions exclusives de ces objets, si particuliers, qu’une fois sortis de ces salons, on les reconnaissait pourtant partout. Il ne s’agissait pas d’un échange commercial classique mais d’un état d’esprit dont les clientes étaient les premières bénéficiaires, puisqu’elles obtenaient de ce fait des bijoux uniques à tous les sens du terme, car dans l’ensemble ils étaient fort peu répétés et dans ce cas apportaient toujours des variantes.

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